Cirque entre les murs


Fortement impliquée sur le territoire francilien, l’Académie Fratellini veille via ses projets d’action culturelle à offrir à toutes et tous un accès au cirque. C’est avec cette mission en tête qu’elle a créé le projet « Cirque entre les murs » avec le Pôle Culture du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis (Essonne) en 2021.
En quoi consiste le projet « Cirque entre les murs » ?
C’est un stage de 36 heures réparties sur 10 jours, d'octobre à novembre 2024, à destination de personnes détenues à la maison des hommes. Le projet est financé par la Direction des affaires culturelles (DRAC), la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris (DISP) et le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).
Immersion dans un atelier cirque en milieu carcéral
Les salarié·es de l’Académie Fratellini étaient convié·es à la restitution de ce stage. L’occasion d’échanger avec Eurydice Lam et Thomas Degomme du Pôle Culture du SPIP 91. « On a envie de leur faire oublier leur quotidien. Les activités proposées permettent aux plus solitaires de s’ouvrir aux autres, d’avoir une échappatoire, une petite liberté dans leur journée en plus des heures de promenade. Ces activités leur offrent la possibilité par ailleurs de découvrir des univers qui leur sont inconnus. »
Nous avons également discuté avec Victoire Godard, artiste diplômée de l’Académie Fratellini et intervenante auprès des personnes détenues.
Est-ce ta première expérience en milieu carcéral ?
« Pas tout à fait, j’avais déjà fait un stage de quatre mois avec l’association Lieux Fictifs, qui propose une formation cinéma à un groupe de personnes détenues du centre pénitentiaire des Baumettes (Marseille). »
Quel est le but des ateliers au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis ?
« L’idée est d’enseigner aux personnes détenues les bases du cirque, puis d’aller plus loin en leur proposant de découvrir les agrès et les techniques acrobatiques. Il s’agit surtout d’échanger, d’apprendre les un·es des autres, de travailler en groupe et de trouver une certaine maîtrise de son corps. L’idée n’est évidemment pas de devenir artiste de cirque ! »

Comment construit-on un atelier cirque en milieu carcéral ?
« Chaque personne détenue arrive à l’atelier avec ses charges affectives et mentales. Nous, en tant qu’intervenant·es, on s’adapte au groupe. Mais eux aussi doivent faire un pas de côté pour appréhender l’univers du cirque. On observe qu’en fonction des exercices, le groupe réagit avec plus ou moins d’enthousiasme, mais cela évolue au fil des ateliers.
Un geste, une remarque d’un surveillant ou d’un codétenu peut perturber, voire gâcher, un atelier. On doit être vigilant·es à tous les signaux pour aller vers celui qui aura besoin d’attention, d’encouragements ou de considération. »
Comment se crée la cohésion de groupe ?
« Avec des exercices de mise en confiance. Le travail du lâcher-prise aide beaucoup. Il y a aussi une énergie qui naît des encouragements que chacun s’apporte. Chaque personne nourrit le groupe et est nourrie par les autres.
La cohésion est un élément essentiel du cirque, on pratique quand même un sport à risque où chacun est responsable du corps de l’autre. »
Quelles difficultés les personnes détenues ont-elles rencontrées ?
« Le stage s’est déroulé sur deux semaines, avec la pause du week-end entre les deux. Forcément, le corps met un temps à s’adapter et des petites douleurs naissent. Il faut travailler la motivation de chacun. »
Pour toi, que peuvent apporter ces activités culturelles aux détenus ?
« Dans un monde carcéral où le temps et l’espace sont absolument contraints, la culture est à la fois un vecteur de résilience et un lien social. Elle offre à chaque individu la possibilité de faire un progrès dans son corps et dans sa tête, de pouvoir se projeter dans un possible « à venir ». On plante des graines en espérant les voir pousser. »

Avant de partir, nous avons également interrogé Jean-Louis Galli, intervenant de l’Académie Fratellini et actif en milieu carcéral depuis plus de vingt ans.
Quel est le but des ateliers au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis ?
« L’idée de départ était de faire découvrir les disciplines du cirque à un groupe d'une douzaine de personnes détenues en attente de jugement. Au-delà du fait que les ateliers leur ont permis de se défouler, ils leur ont offert l’opportunité de partager un objectif commun. Les participants étaient très enthousiastes et ont voulu créer un spectacle pour clôturer le stage. Nous avons pu aborder tous les enjeux de la création : répétition, concentration et mobilisation individuelle et collective, gestion du stress, remise en question de ses capacités…
L'immersion dans un projet artistique et culturel avec des personnes détenues est toujours unique. C’est une rencontre humaine intense dans laquelle toutes les émotions sont démultipliées du fait de l'environnement contraint et du statut de privation de liberté. »
Comment construit-on un atelier cirque en milieu carcéral ?
« On ne construit pas un atelier cirque de la même façon selon s’il a lieu en ou hors milieu carcéral.
On commence par briefer les participants : qui sommes-nous ? C’est quoi le cirque (car les préjugés sont tenaces : clowns, animaux sauvages…) ? Pourquoi cet atelier ?
Une fois ces éléments éclaircis et les énergies au diapason, on s'oriente vers un atelier classique [atelier où l’on teste différentes disciplines de cirque avant de choisir sa préférée].
On a rencontré un groupe avec une cohésion, une motivation et un respect remarquable. »
Pour toi, en quoi est-ce important de proposer des activités culturelles aux détenus ?
« La culture doit avoir une place prépondérante dans l'accompagnement du temps de « pénitence » et de réinsertion des détenu·es. Ce temps de latence offre une opportunité pour les sensibiliser à la pratique artistique et à leur propre créativité. »
Clap de fin
À l’issue de la restitution, tout le monde s’est regroupé autour d’un goûter dans la salle de musculation du centre pénitentiaire. Victoire et Jean-Louis en ont profité pour lancer un tour de table : comment vous sentez-vous à l’issue de ce stage ?
« J’ai eu l’impression d’être libre. »
« En faisant du cirque, le temps a filé à toute vitesse. »
« Merci à Vivi et Jean-Louis ! »
« Évasion et changement d’air. »
Un succès, donc ! D’autres stages sont en cours de préparation pour 2025 au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, mais aussi de Villepinte. Nous vous raconterons cela dans un futur article !